mardi 6 janvier 2009

Une petite vidéo de noël

À première vue,
ce vidéo à l'air ridicule, à voir même, complètement insensé... Lorsqu'on le regarde au complet, on comprend le concept des réalisateurs...

Bon visionnement!!



Droit d'auteur réservé
Guillaume Millaire
Philippe Blain

mardi 3 novembre 1970

C'est fini le FLQ

Je me souviendrai toujours de ces jours d’octobre 1970, où, en plein coeur des événements qui allaient marqué à tout jamais la société québécoise, comme le faisait notre famille cinq fois l’an, nous avions encore une fois traversé le Parc La Vérendrye cet automne-là et étions venus passer la fin de semaine chez mes grands-parents à Montréal. Nous arrivions tard le vendredi soir et nous levions tôt le samedi pour aussitôt nous précipiter dans le bas de la ville, tout près du Quartier latin.

Sortant à peine de notre traditionnelle séance de magasinage du samedi matin chez Dupuis frères, alors que toute la famille déambulait sur la rue Ste-Catherine, mon père lança tout à coup un grand cri qui ne fût pas sans nous rappeler le « call » de l’orignal abitibien : « Gaston … ! ». L’écho ne se fit pas longtemps attendre : « Roland… ! ». La réponse venait de l’autre bord de la rue, juste en face de la librairie Hachette, à côté du Da Giovanni, notre restaurant favori où une longue file d’attente nous interdisait malheureusement l’accès. Nous avions maintes fois entendu parler de Gaston Miron comme d’un excentrique qui récitait ses poèmes sur le coin des rues de Montréal. Je l’avais imaginé affublé d’une veste de cuir de chevreuil à grandes franges, d’un chapeau d’archer et de mocassins montant à mi-jambes, un mélange de Ti-Jean Carignan et de Robin des bois déclamant des poèmes dont la calligraphie s’étendait sur un long rouleau de papier parchemin qu’il tenait au bout de ses bras.

Grande déception, Gaston Miron était habillé exactement comme notre père l’était à la semaine longue, comme un véritable gérant de caisse populaire, un habit anthracite, une chemise blanche et une fine cravate dont la couleur foncée réussissait à peine à dissimuler les abondantes taches de nourriture qui la tapissaient. Probablement de la sauce à spaghetti de la pizzéria Napoli, là où Gaston Miron nous emmena dîner cet après-midi-là, juste en face de la Bibliothèque St-Sulpice. En plus, il avait le malheur de porter de vilaines lunettes en corne noire qui n’avait rien d’original, semblables à celles que ma mère venait tout juste de m’acheter, l’optométriste les ayant décrites comme les plus résistantes aux épreuves sportives.

Heureusement, cette trompeuse impression fit rapidement place à une grande fébrilité. « La police me suit depuis plusieurs jours, regarde, ce sont ces deux gars-là derrière, ça ne te dérange pas trop Roland ? » Wow ! Nous étions mêlés à une véritable histoire de filature policière malgré nous. Remarquez bien, nous apprîmes plus tard que notre père avait lui aussi été filé, que notre téléphone était sous écoute, qu’il était passé à un cheveu d’être arrêté par la police avec son ami Théo Gagné, le héros de la grève de Murdochville, et que cette opération aurait été annulée grâce à une intervention in extremis de Jacques Parizeau pendant que plusieurs autres séparatistes, dont Gaston Miron, avaient déjà commencé leur séjour forcé en prison. Qui pourrait croire aujourd’hui que les gérants de caisse populaire et les poètes aient pu un jour avoir une vie aussi dangereuse dans une société qu’on disait alors libre et démocratique ?

Comment, quand on est enfant, peut-on vivre avec le souvenir de voir son père et sa mère injustement emprisonnés ? Sincèrement, je ne sais pas, mais cette question est venue me hanter récemment après qu’Andrée Ferretti m’eût raconté avoir passé 51 jours en prison loin de ses enfants. En entendant Stephen Harper s’adresser aux Canadiens alors qu’il sortait de la résidence de la gouverneure générale du Canada, un premier ministre aussi arrogant qu’avait pu l’être jadis Pierre Trudeau, j’ai réalisé à quel point notre famille avait alors frôlé la catastrophe. Comment un premier ministre peut-il humainement ordonner l’arrestation de gens qui n’ont commis aucun crime, juste parce qu’ils sont des séparatistes ?

Je n’ai donc pu m’empêcher de penser à cette période de ma vie et à toutes ces innocentes victimes de Pierre Trudeau - « just watch me ! » qu’il avait dit - lorsque j’ai vu Stephen Harper parler des séparatistes comme de personnes auxquelles les fédéralistes ne pouvaient pas s’associer. Si l’on se fie aux propos nuancés prononcés par Stephen Harper ce jour-là, un homme qui pèse chacun de ses mots lorsqu’il parle en français, les indépendantistes québécois auraient le droit de s’associer entre eux, mais pas avec des fédéralistes, même si le droit d’association est reconnu à l’article 2 de la Charte canadienne des droits et liberté. J’ai immédiatement pensé à l’apartheid et aux légendaires écoles séparées du sud des États-Unis où les noirs étaient eux aussi entre eux, tout comme Stephen Harper souhaite voir les séparatistes du Québec, entre eux dans leur coin, même au Parlement, mais toujours à l’intérieur du Canada.

Lorsque je l’ai vu et entendu à la télévision, sortant de chez la gouverneure générale du Canada, cela m’a frappé en pleine face. J’ai eu le pressentiment qu’il ne se gênerait sûrement pas pour nous refaire le coup d’octobre 1970 s’il devenait majoritaire. Il n’y aurait absolument rien à son épreuve. J’ai imaginé que cet homme pouvait très bien interpréter la Charte canadienne des droits et libertés comme certains exégètes interprètent la Bible et le Coran ; qu’un homme aussi persuasif qui a réussi à l’encontre de tout bon sens à faire proroger une session parlementaire à peine commencée, alors qu’il était minoritaire et n’avait pas la confiance de la chambre, n’aurait probablement aucune difficulté à obtenir la collaboration de la gouverneure générale pour protéger ce qu’il estimerait être l’intégrité politique du Canada en temps de crise, une fois devenu majoritaire. Il trouverait bien une règle de droit ou une règle constitutionnelle l’autorisant à le faire. À défaut, la Cour Suprême lui dirait comment faire !

Je me suis aussi demandé ce qui était « raisonnable » pour un homme comme Stephen Harper au sens de l’article 1* de la Charte canadienne des droits et libertés. Quelle situation pourrait raisonnablement justifier qu’on suspende les droits de certaines personnes, ceux des séparatistes du Québec par exemple, pour un homme qui venait tout juste d’essayer de suspendre les droits des partis politiques, des travailleurs et des femmes, pour un homme qui avait réussi à faire proroger les travaux du Parlement canadien alors que rien ne l’autorisait à le faire dans les circonstances que nous connaissons tous, un homme qui venait d’affirmer que des partis politiques canadiens ne pouvaient pas s’associer à un parti séparatiste, que ce n’était pas raisonnable ? Il n’avait qu’à faire comme Pierre Trudeau l’avait déjà fait avant lui et qui avait certainement prévu une porte de sortie pour ce genre de situation, la recette devait bien être écrite en quelque part ! La constitution de 1982 devait bien permettre de trouver une solution à ce genre de problème si cela devenait un jour nécessaire.

Je me suis aussitôt précipité sur ma Charte canadienne des droits et libertés pour lire l’article et j’ai eu un frisson, un très grand frisson qui me glace encore le dos quand j’y repense aujourd’hui et que je me rappelle d’octobre 1970 ! Je me suis alors souvenu de Gaston Miron, de Pauline Julien, de Gérald Godin, d’Andrée Ferretti et de tous ceux que Pierre Trudeau avait jugé raisonnable d’emprisonner pendant plusieurs semaines, même s’ils n’avaient rien fait, simplement parce qu’ils étaient séparatistes, même si cela n’avait aucun bon sens, comme cette histoire de prorogation des travaux de la chambre des communes.

Nous le savons tous d’expérience, comme en toute chose, il y a toujours une première fois, après, il n’y a plus d’innocence !

Louis Lapointe